Une entité très vague,
ce corps humain en résonance,
entre champ virtuel et point de référence.
Est-ce une onde solitaire
en attente d’un éclair ?
Corps électromagnétiques. Voici deux mots pour une exposition sans tableaux. Le premier est au centre. Le second enveloppe ses contours. La vie résulte de leur heureuse association. Les corps électromagnétiques sont bien vivants.
Qu’est-ce qu’un corps ? C’est une entité éphémère entre mère et mort. Avec cette question et cette réponse, les concepteurs du nouveau Musée du quai Branly ont mis en scène l’art des premières civilisations en juin 2006. Il a fallu bien du temps pour sortir du mode tribal et voir ce corps comme celui de notre espèce. La science a unifié les hommes en les séparant des singes. La science a aussi aggravé les conflits destructeurs de vie. Pour elle, cette vie a commencé avec des éclairs électromagnétiques traversant l’atmosphère au-dessus des mers, selon Miller en 1953. Pour tous les médecins, la vie se termine quand l’écran de contrôle d’une machine ne décèle plus la moindre activité électromagnétique dans le cœur et le cerveau. Faut-il y rechercher l’invisible vérité des corps ?
Qu’est ce que l’électromagnétisme ? C’est une force révélée à Copenhague par Oerstedt en 1820. La déviation d’une aiguille magnétique provoquée par un courant électrique démontrait l’identité de l’électricité et du magnétisme. L’électromagnétisme est ensuite rapidement considéré comme la grande force dynamique de la Nature. Les civilisations premières du Grand Nord américain ont vécu longtemps proche du pôle magnétique de la Terre, sans le savoir. Ce lieu qui affole les boussoles, là où il n’y a plus de Nord, est pourtant un indicateur objectif pour les autres qui en sont éloignés. L’expression « perdre la boussole », désigne une confusion de l’esprit avec perte d’orientation générale.
Corps électromagnétiques revisite cette anatomie en magnifiant la force dynamique qui tient en vie. Dans une époque où l’origine parentale des corps devient floue, où les machines électromagnétiques deviennent intelligentes, le regard artistique imaginatif n’en a que plus d’intérêt. L’homme de la science est souvent présenté sans qualités intrinsèques. Il se définit surtout par les choses qui l’entourent et le constituent. Ce corps humain est alors sans fonction précise, prématuré, voire inachevé. Il a besoin de protection et de rêves pour survivre. La science découvre le corps pour le comprendre. Elle le désenchante. En regard des grands anthropoïdes, le corps humain lui apparaît fragile. Il est « nu ». Habillé, il semble mieux exister en société. La parure vestimentaire est une forme de dialogue visuel à distance. Après les fourrures, ce corps appelle textiles et vêtements pour se recouvrir de façon plus digne. De nouveaux appareils de communication électromagnétique s’y accrochent aux côtés des lunettes, des montres et des anciens bijoux. Le corps peut alors agir à longue distance. Un ordinateur vestimentaire, comme ceux du MIT, lui donne une pellicule interactive de symbiose. L’électromagnétisme originel régule tous les mouvements corporels, des plus petits aux plus grands. Cette régulation est affinée au contact de ses semblables. Le corps humain module son électromagnétisme vital par l’éducation et le personnalise. La force électromagnétique de transformation est au cœur de cette exposition de signaux qu’est Corps électromagnétiques.
La force naturelle, dénommée Ch’i en Chine, a de grandes affinités avec l’électromagnétisme occidental. C’est un « souffle » inspirateur pour les arts, la religion et la médecine. En Chine, cette force combine tout ce qui est perceptible et induit. Les médecins grecs et romains, sur le plan thérapeutique avec les chocs électriques causés par des poissons (torpilles), en ont eu aussi conscience de manière plus épisodique. Pour l’historien des sciences Joseph Needham, les premiers éléments de la théorie magnétique moderne des ondes pulsantes se retrouvent dans la dualité du Yin et du Yang comme dissociation polarisée du Ch’i. Le taoïsme, comme intellection millénaire du Ch’i, est encore très utile. Aujourd’hui, la physique décrit ces forces par des analogies (électromagnétisme et gravité) ou des mesures (interactions faibles ou fortes). De toutes ces forces, seul l’électromagnétisme est discuté en philosophie. Tout se construit autour de lui. Parmi les forces du taoïsme, le Ch’i en est la plus proche. Pour Maxwell, elle énergise le vide. Pour Lao Tseu, l’être crée des phénomènes que le vide permet d’utiliser.
Des corps médiatisés par des forces électromagnétiques
Les populations urbanisées de notre planète sont soumises aux fluctuations des médias de masse électromagnétiques. Catastrophes, attentats, guerres et compétitions sportives rythment leur attention. Dans ce contexte de stress médiatique permanent, le taoïsme est devenu populaire comme forme ultime de relaxation salvatrice. L’essentiel du message chinois a bien traversé les siècles. Le retour de la Chine au sommet des puissances mondiales a permis de rétablir un dialogue interculturel plus formel dont le Tao de la Physique de Fritjof Capra a été le signe avant-coureur. L’influence chinoise en Occident a été autrefois bien plus visible en médecine et dans les arts, tout particulièrement avec le théâtre. Cette influence a emprunté les voies hispaniques par les Philippines, où, à partir du Mexique, se fonde la première université d’Asie en 1611.
La pièce de Calderon, La vie est un songe (1635) est emblématique de cette continuité rétrospective. Le vide du songe y est porteur de vie, elle-même ouverte à tous les possibles. Le songe est un rêve éveillé, résultat d’une illusion électromagnétique induite dans le cerveau, tel est du moins l’avis des neurologues. Pour eux, la mort est liée à la fin des activités électromagnétiques du cerveau. Ensuite, les opinions divergent. Celle de William Crookes (1832-1919) a été l’une des plus originale en produisant un tube à rayons cathodiques pour démontrer l’existence de forces spirituelles désincarnées. Ses inventions ont permis la radiographie et la télévision électroniques. Tesla, son ami, a choisi de réaliser ce genre d’expérience électromagnétique en grand format en mobilisant d’abord tout le volume de son laboratoire new-yorkais, ensuite la région entière de Colorado Springs et enfin, limite suprême, toute la planète à partir d’une tour inachevée à Wardenclyffe. En électromagnétisme, Tesla dépassait de loin tous ses contemporains.
Tesla, Électre et Magnès
Tesla (1856-1943) incarne la division entre brillance et attraction. En s’inspirant de Schrödinger revisitant le quantisme, allons vers la Grèce, celle de Mycènes et des Atrides, pour mieux comprendre ce personnage. Sur le plan tragique, Tesla a des affinités électives avec Électre. La séparation entre un « moi » fragile et un cosmos inconnu, leur malheur commun, inaugure l’intrigue. Un tel clivage était évitable en Chine ou en Inde. L’opposition continu/discontinu traverse l’Occident, lieu de la chute, et l’Orient, lieu de l’élévation. Partagé entre onde et particule, l’électromagnétisme en est le symbole. Cette dualité anime la tragédie grecque. Électre et Magnès(1) en sont les deux personnages importants. La fille d’Agamemnon et le fils d’Éole entrent en résonance avec les mots electre et magnes. Électre vient d’électron qui, en grec, désigne l’ambre, résine fossile utilisée en bijouterie. Cette résine a la propriété de contenir d’anciennes particules de vie, parfois des insectes entiers. Une fois frotté, l’ambre attire un moment d’autres objets. Le personnage d’Électre rassemble toutes ces caractéristiques.
Magnès désigne la pierre qui attire de manière permanente les objets métalliques ferreux mais aussi la chance et l’amour. Selon Pline, Magnès est un pâtre grec qui, en restant fixé au sol par ses sandales cloutées de fer, est le découvreur involontaire de l’aimant. Le lieu de cette légende oscille entre la Thessalie européenne et l’asiatique Ionie. La séparation entre Orient et Occident n’est pas encore acquise. Certains pourront y voir une histoire édifiante semblable à celle du promeneur Becquerel ramenant dans ses tiroirs de la pechblende d’Auvergne pour la découvrir radioactive en développant ses plaques photographiques. Fils du Vent, Magnès est un promeneur pastoral de tous les temps, un nomade chanté par Moustaki. « De juif errant, de pâtre grec. Et mes cheveux aux quatre vents. Avec mes yeux tout délavés. Qui me donnent l’air de rêver. Moi qui ne rêve plus souvent. ». Tesla, « pâtre » serbo-croate, incarne ce personnage dans la science, magnifique comme Magnès, électrisant comme Électre.
Les Lumières se découvrent électromagnétiques
Bien avant le Lavoisier des Lumières, certains savaient que rien ne se crée, rien ne se perd mais que tout se transforme. L’univers n’est qu’enchantement. Les esprits attribués aux êtres humains cohabitent sans supériorité intrinsèque avec les autres. La paille attirée par l’ambre, en ayant acquis une charge électrique par friction, en est la manifestation reproductible la plus simple. Chaque parcelle de cette Nature communique avec les autres. Venant de la campagne, le jeune Tesla porte en ville ces anciennes visions. Les lumières de la ville électrique le fascinent ainsi que les séductions illusoires de l’urbanité. Budapest, ville magyare de résonance asiatique en Occident et lieu de son premier emploi, était alors l’une des plus actives dans le réseau mondial des villes électrifiées. Cette vie urbaine électrisante, illustrée par le film de Chaplin, City Lights, concentre en Europe le meilleur de la civilisation occidentale au sein d’une chaudière infernale porteuse d’immenses dévastations. Au même moment, ces forces vitales premières deviennent le nouveau sujet de prédilection des anthropologues. Ils ne les voient alors qu’aux premiers moments de la civilisation. Avant Freud, ils les pensent assagies en eux-mêmes. Les conflagrations guerrières mondiales leurs infligent un démenti total. Proposée par Codrington en 1891, sous le nom océanien de Mana, la forme la plus ancienne de ces forces s’apparente à l’esprit collectif de Durkheim. Marcel Mauss y voit l’origine de la vie sociale. Max Weber devine le pouvoir des corps attracteurs de fluides par effet de charisme. Tesla, comme bien d’autres, pressent l’horreur guerrière et décide de franchir l’Atlantique pour s’en préserver.
L’Électre des Atrides est une représentation féminine acceptée par l’Occident depuis que Rome l’a empruntée aux Grecs anciens. Tesla joue ce rôle asexué dans les Temps Modernes. Pour la culture occidentale classique, l’Électre de Sophocle est une jeune femme qui agit par effet de résonance mémorielle avec son père assassiné, Agamemnon. C’est une voix vibrante sans maîtrise de son propre corps. Électre est une femme désespérée, sans couche pour aimer et donner la vie. Habitée, Électre est le réceptacle de la force vengeresse de son père. Tesla, lui aussi, est habité. Il dit avoir l’esprit de sa mère en lui au point de la voir mourir à distance. Agir, sans pouvoir se connaître soi-même, est le thème récurrent de ces caractères. Socrate, disciple de l’oracle de Delphes, est célèbre pour avoir renversé ce point de vue comme départ de toute philosophie. Une thérapeutique doit en découler car cette situation débouche sur la vérité porteuse de mort. Reprenant cette idée à la fin de la Renaissance européenne, Gilbert est un médecin d’exception pour ses travaux en magnétisme comme moyen curatif. On lui doit le mot électricité. Plus tard, électricité et magnétisme sont célébrés par des écrivains, philosophes et scientifiques comme Hegel, Schelling, Ampère ou Maxwell. Tardivement, les Lumières se découvrent électromagnétiques avec Franklin comme précepteur.
Définir une protection par temps orageux
Une nouvelle scène tragique apparaît avec la civilisation industrielle. De lourds orages de guerre menacent l’humanité. Quelques voix isolées, comme celle de Tesla, tentent de conjurer la malédiction. À cette époque, l’Occident, armé par la Science, est certain de maîtriser l’univers. Ce n’est qu’une question de temps. La victoire des lumières sur l’obscurité semble assurée. Pour Claude Bernard, tout a été découvert. C’était juste avant les guerres mondiales, l’Holocauste et les bombes atomiques. Imprudente, la science positiviste est aussi aveugle. En même temps, à ses marges, on découvre la lumière invisible aux deux extrêmes du spectre électromagnétique.
Aujourd’hui, en lointain écho européen à McLuhan, une nouvelle position philosophique, aussi lucide que pessimiste, permet à Peter Sloterdijk de proposer une théorie des sphères culturelles concentriques. Pour lui, le seul progrès, et aussi le seul devoir, pour notre humanité est de préserver la Terre comme le berceau d’un nouveau-né. Selon l’expression de Pascal, l’infini nous fait horreur et engendre la folie ainsi que le refus de vivre ensemble, librement. Une membrane filtrante doit constituer notre protection naturelle, de la cellule à la stratosphère. Cette protection naturelle est très fragile. Nous avons besoin de techniques artificielles pour la renforcer. Mais ces techniques sont aussi très dangereuses à manipuler. Aujourd’hui, les technologies de l’électromagnétisme sont au carrefour des grandes interrogations tragiques de l’humanité. Bien connu est le coma dépassé affiché par un électroencéphalogramme. Beaucoup moins sont les ceintures protectrices de Van Allen qui nous protègent des rayonnements destructeurs du soleil. Dans ce contexte, je propose de définir l’être humain sous une forme électromagnétique, comme un soliton complexe, une onde électromagnétique turbulente dans sa stabilité toute provisoire. Ce soliton, polarisé par un effet mémoriel, évolue dans un champ temporel spécifique, par résonance corporelle. Shakespeare a indiqué une thérapie pour conjurer la succession des événements malheureux : « Mais qu’entre-temps je pense à toi, ô cher ami, la perte est réparée et le chagrin fini. » (Fin du sonnet 30). La mémoire maîtrisée est la seule protection de l’existence spontanée du soliton face à lui-même. C’est ce qui conduit toute humanisation. La mère protège l’enfant. La famille prend le relais. Les institutions de toutes sortes régulent les conflits. La grande invention intellectuelle théâtrale de la psychanalyse a vu Freud expliquer, à ceux qui se savent en manque de protection, une partie du pourquoi. La mondialisation est grosse de catastrophes. Il faut se doter de nouvelles protections. Réfléchir sur l’électromagnétisme et le corps a des vertus pragmatiques. Une nouvelle forme de purgation théâtrale des émotions par l’action, pour reprendre Aristote, doit nous sortir des orages médiatiques contemporains.
Rester turbulent dans le tourbillon médiatique
Les pratiques électriques et magnétisantes sont perçues par Gilbert comme thérapie collective ainsi que le théâtre l’avait été pour les cités grecques. Gilbert peut alors définir le soi s’extrayant du nous. Les machines électromagnétiques actuelles portent en elles un parcours inverse qui consiste à dissoudre l’effort mémoriel dans un nous spasmodique, consolateur par consommation de biens divers. De nos jours, les paradis terrestres sont devenus plus artificiels que les corps. Comme Schrödinger, revenant à l’étude de la philosophie grecque après avoir attrapé un chat virtuel, nous cherchons à comprendre comment se dissolvent d’anciennes certitudes atomistiques dans un univers ondulatoire fondé sur des croyances éphémères. Le sens des responsabilités semble la première victime de cette évolution. L’électromagnétisme industriel a engendré un report consenti de la résolution des problèmes humains vers de nouvelles machines. À peine séparée de la Nature, dans une tradition philosophique qui lie les Grecs aux Lumières, l’humanité doit rechercher dans le contrat social constitutionnel un moyen pour la faire revivre en harmonie avec elle-même. La société des médias de masse a remis en cause ce projet. Une nouvelle membrane protectrice du corps humain citoyen face à ce système électromagnétique de conditionnement et de surveillance doit être trouvée.
Au cours du XVIe siècle, sous le règne de la première reine Élisabeth d’Angleterre, avec les théâtres de Shakespeare et de Marlowe comme thérapie de reconstruction pour des personnalités émotives et libres, une œuvre en électromagnétisme comme celle de Gilbert devient possible pour définir les rapports individuels au monde. Le triomphe d’un esprit collectif mécanique, issu de la Révolution industrielle et des guerres napoléoniennes, a changé la donne. La vie a été enchaînée aux machines de travail. L’État national continental s’est donné un droit de vie et de mort sur ses citoyens conscrits. Les cités surpeuplées par l’exode rural voient revenir les épidémies les plus dangereuses. Pour échapper à cette mécanique industrielle, s’égrène peu à peu l’archipel romantique, première conscience culturelle de la modernité, selon Raymond Williams. À l’opposé, la brutale oppression industrielle écrase l’antique recherche d’une vie personnelle heureuse. C’est le temps des programmes scientifiques d’accession au bonheur que déconstruit le travail de Foucault. Dans Masse et puissance, Élias Canetti a décrit ce nouveau monde européen où le refus de devenir une personne devient un mouvement collectif massif de liquidation de l’esprit libre dans le national-socialisme hitlérien et le socialisme national stalinien. Face à ces totalitarismes dénoncés par Hannah Arendt, les religions historiques sont des oppressions inachevées. Des artistes sont entrés en résistance, en formalisant une « avant-garde » avec une interprétation culturelle de la loi d’Ohm : la chaleur révolutionnaire comme facteur de désordre salvateur. Les libres-penseurs turbulents cherchent à rompre avec le système industriel (de Dada aux surréalistes) ou bien à subvertir ses fondements au travers de thérapies psychiques (hypnose et psychanalyse) liées à l’électromagnétisme. Pour conserver l’esprit de turbulence, cela ne suffit plus.
L’art médical électromagnétique : de la libération au dressage
En 1600, le Traité médical de Gilbert intitulé De Magnete a joué un rôle crucial en apportant en Europe un premier livre imprimé systématisant la connaissance des rapports entre la vie et l’électromagnétisme. Gilbert est alors médecin à la cour de la première reine Élisabeth d’Angleterre. L’œuvre de Gilbert est exceptionnelle pour l’Europe de ce temps. L’électromagnétisme n’a plus eu autant d’importance dans les académies de médecine sur le plan curatif. Les pratiques anciennes de l’acupuncture chinoise, développées à partir d’une systématisation des Chakras indiens, démontrent l’existence d’une connaissance achevée des flux électromagnétiques de la vie circulant à travers le corps humain dont l’effet Kirlian est une transposition moderne. La sensation d’un « souffle » électromagnétique sur le visage est une expérience facile à constater près d’un tube de télévision ou d’un moniteur cathodique au cours du processus d’allumage ou d’extinction. Ces tubes ont été inventés par Crookes à la fin du XIXe siècle. L’effet de résonance électrostatique qui les accompagne permet de ressentir sur la peau les effets induits par un champ électromagnétique. J’ai moi-même expérimenté, à l’édition de Budapest de Corps électromagnétiques, l’effet physiologique d’un transformateur de Tesla sur les courants à haute fréquence qui traversent le corps pour illuminer un tube au néon. On ressent alors une vibration qui provient de la peau conductrice. Avec un moindre voltage, mais une plus grande sensibilité, ces sensations ont motivé l’œuvre pionnière de Franz Anton Mesmer. Au XVIIIe siècle, sur un mode corporel, Mesmer avait expérimenté une approche rationnelle de ces influences électromagnétiques en tentant de provoquer des crises curatives au vu et au su des cercles aristocratiques viennois et parisiens. Hegel démontre son vif intérêt pour de telles expériences(2). La pensée industrielle s’y oppose. Stefan Zweig a interprété les travaux de Mesmer comme un mécanisme de transfert psychologique qui donne un rôle majeur à la confiance que le patient entretient avec la thérapie et son médecin. Freud a réussi à imposer la cure psychanalytique dans cette tradition subversive. Il représente un courant intellectuel disposé à renforcer le soliton humain contre l’ordre médical dominant. Aujourd’hui, comme un joueur d’échec, ses disciples entrent en concurrence avec les machines électromagnétiques des sciences cognitives. Pour elles, les machines à résonance magnétique nucléaire (RMN) utilisées dans les hôpitaux pour observer l’intérieur du corps humain en mouvement, sont devenues la clef de la compréhension de l’espèce. Une riposte est en cours de définition. L’ouvrage de Gilbert, De Magnete, n’a pas été écrit en vain.
De nos jours, alors que la puissance asiatique trouve une influence conforme à sa démographie, la technologie et la science occidentales reviennent aux idées de Gilbert : la société NTT a un système de communication qui utilise les propriétés conductrices de la peau. Apple va vendre un nouveau Ipod à contrôle sans contact. La société montréalaise ThoughtTechnologyInc fournit les hôpitaux en systèmes informatisés de rétroaction électromagnétique d’ondes cérébrales pour résoudre les problèmes physiologiques de contrôle mental de fonctions musculaires déficientes. À l’institut de cardiologie de Montréal, on commande à distance les défibrillateurs cardiaques par système de communication sans fil. La récente découverte de ferro-magnétites dans l’hippocampe du cerveau permet aux chercheurs de lier matériellement le corps vivant et les ondes électromagnétiques. Ces substances rendent possible l’explication du sens de l’équilibre et de l’orientation observables à l’extrême chez les pigeons voyageurs et les somnambules. Ce sens de l’orientation apparaît lié à l’aspect organiquement perceptible du champ magnétique terrestre et de son environnement local.
Le corps humain est un champ de bataille
Après Georges Bataille, la question de l’avenir du corps engendre des réponses angoissées et de gros romans : clonage possible, perte d’identité individuelle, commerce des organes, incertitudes de filiations, usure des désirs, surveillance totale, comportements stéréotypés… On est loin de cette déclaration à l’emporte-pièce : Je pense comme une fille enlève sa robe. Cultiver son jardin secret et sa vie privée, vieille recette voltairienne pour sauver l’individu du chaos, est la voie réservée des bobos. On peut se demander si elle sera praticable dans un monde où des satellites informatisés observent en permanence ce qui se passe sur chaque mètre carré de la planète. Réinvestir la multiplicité, l’ubiquité, la polysémie et l’ambiguïté devient un devoir. Newton en a fait un style de double vie. La disparition du corps humain a été son œuvre théâtrale. Ainsi est née l’objectivité scientifique contemporaine. Pourtant, dans sa théorie de l’attraction universelle, la négation du corps subjectif n’empêche pas Newton de recourir à la notion de force invisible(3) qui entoure le concept de gravité (chute des corps). Symbole de l’esprit de sérieux, la gravité agissante est toujours invisible de nos jours. La cause de la chute des corps est bien cachée. Les manuscrits alchimiques de Newton, colligés et offerts au King’s College (les Portsmouth papers, 3968, 41, f.85) par Lord Keynes, plus connu pour ses théories économiques, sont en phase avec ce genre d’interprétations syncrétiques : Newton n’était pas le premier de l’âge de raison. Il était le dernier des magiciens, des Babyloniens et des Sumériens. Il regardait avec les mêmes yeux le monde visible et le pensait comme les plus anciens contributeurs de notre héritage intellectuel, il y a 10.000 ans. (Keynes, « Newton, The Man », 1946)
Que serait la vitalité sans l’élan ?
Le mot « aimant » désigne un objet qui attire et repousse. C’est aussi un sentiment qui exprime l’essentiel de la vie humaine. La langue française a le privilège de recevoir dans son vocabulaire cette identité qu’un discours positiviste repousse. La recherche d’une source de stabilité par l’équilibre harmonieux justifie l’amour romantique comme « pur diamant », la pierre qui réunit les deux amants. Cette recherche est pleine de dangers et de bonheurs. Au début, il y a un coup de foudre. Pour les romantiques, c’est le synonyme de la mort soudaine par maladie d’amour. En cas de blessure, la vie devient soudainement électrifiée et incertaine. Pour la philosophie de la Nature de Schelling, magnétisme, électricité, amour, intelligence et vie sont une seule et même force qui gouverne le monde. À la fin du XVIIIe siècle, dans le Nord de l’Italie, source de cette idée, Volta et Galvani ont séparément découvert la force motrice de l’électricité vitale, celle qui survolte et galvanise. Cette découverte avait été inspiratrice des tentatives effectuées en Europe pour ressusciter des morts à l’exemple de George Foster à Londres en 1803.
Quatorze ans plus tard, avec Frankenstein, ou le Prométhée Moderne, Mary Shelley a donné son archétype au thème romantique de la vie liée aux phénomènes électromagnétiques. La Nature, à défaut de Christianisme, représente l’Âge d’or vers lequel on revient pour échapper à l’industrialisation et aux guerres de destruction massive. Les cités et les villes sont considérées, par Jean-Paul Richter et bien d’autres, avec l’état d’esprit des Hébreux face à Sodome et Gomorrhe. Les premiers romantiques croient voir dans l’électromagnétisme une source de résistance contre les cités mécanisées industrielles. C’était avant Ampère.
Ampère, le « Newton de l’électricité », inspiré par l’expérience de Oerstedt, a été le premier à imaginer une société complètement dirigée par un principe électromagnétique, un gouvernement de toute l’humanité par un réseau électrique. En 1834, il invente le mot « cybernétique » pour désigner ce système politique dans son dernier livre « Essai sur la philosophie des sciences ». En 1955, le latiniste Jacques Perret, en traduisant « computer » par « ordinateur » à la demande d’IBM, poursuit cette tradition très présente en France.
À l’opposé, Faraday, avec sa théorie de l’induction électromagnétique, produit une cage isolant des ondes électromagnétiques extérieures. Cette idée sera utile pour préserver la liberté d’action et assurer la protection de l’intégrité corporelle. Maxwell formalise ces intuitions de Faraday avec les équations unifiant la lumière comme une forme de l’électromagnétisme. Une nouvelle conception de l’espace devient possible, celle du champ. Cette unification fait converger Einstein et Picasso inspirés de l’œuvre d’Ernst Mach, dans les ondes sonores, et d’Henri Poincaré dans la théorie de la relativité. Ernst Mach a lié l’aspect électromagnétique du corps humain avec une perception sonore structurante de l’être. Le sens de l’équilibre y est perçu comme incorporation du champ environnant. Des artistes veulent alors élancer le monde vers un électromagnétisme libérateur.
Savoir être libre ensemble
La vision relativiste de l’observateur pour Einstein permet d’englober celle, linéaire, de Maxwell, en proposant une induction qui est indépendante de sa position spatiale. Le rythme du temps rend symétrique cette proposition. Les demoiselles d’Avignon de Picasso est une toile qui montre un groupe de femmes dont les postures s’émancipent de la position de l’observateur. Celui-ci est regardé, sous tous les angles, comme un client potentiel(4). Marcel Duchamp transpose cette séquence cinétique en élaborant une suite de perceptions sur une même image décodée par un temps linéaire dans son Nu descendant l’escalier. Il surprend le regard avec un sujet classique à la manière de Marey. Alors que Duchamp souligne les limites de notre perception temporelle face à la lumière, Picasso remet en cause la linéarité dans toutes les perceptions. Des interférences similaires se retrouvent en holographie cinétique. Pierre et Marie Curie sont les grands responsables de la déstabilisation des corps chimiques avec l’explication de la radioactivité. À leur suite, Einstein propose une équation (E=mc2) entre la condensation photonique de la matière et les ondes électromagnétiques (base de la mécanique quantique). L’électromagnétisme est la manifestation d’une force englobante. Sa théorie actuelle est bien avancée pour trouver au photon un partenaire dans les interactions faibles et ainsi unifier deux des quatre forces énoncées par la physique contemporaine. Rien n’est clair pour la force de gravité (théories des cordes ?) et celle des interactions fortes de cohésion des noyaux atomiques (supersymétrie ?). Les artistes portent avec eux une nouvelle définition de l’existence humaine sans toutefois intervenir dans ces débats qui les dépassent. En retour, pour les scientifiques, les arts sont devenus une source sémantique alternative au grec ancien.
Écrire le monde avec le texte des sons et des images
Expliquer les relations invisibles du monde physique permet le recours aux étrangetés du monde artistique. La brique constitutive de la matière est devenue le quark, tiré du roman Finnegans’s Wake de James Joyce, grâce au physicien américain Gell Mann en 1965-69. Alain Aspect du CNRS ouvre maintenant un nouvel espace pour l’électromagnétisme avec l’intrication des photons, c’est-à-dire la possibilité pour cette particule d’avoir en même temps plusieurs propriétés contradictoires. La représentation visuelle objective de la physique est devenue quasi-impossible. L’écriture artistique redevient alors légitime.
Raoul Dufy a réalisé la dernière représentation monumentale de la science électromagnétique avec les outils antiques du peintre : La Fée Électricité produite en 1937 pour l’Exposition Universelle de Paris. En plaçant les artisans de l’univers électromagnétique au milieu de leurs réalisations, Dufy a réussi le tour de force de rassembler un univers virtuel aux yeux d’un public non averti au moyen d’une œuvre d’art panoramique. On peut la voir aujourd’hui au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris s’étalant sur une surface de 645 m2.
La modernité tragique est l’œuvre d’une lucidité désespérée. Savoir la vérité devient paradoxalement la seule menace pour la vie individuelle. En retour, la magie ancienne et la science redeviennent appariées. La magie des mots et graphes est une science développée avec art. L’Oulipo a choisi de découvrir mathématiquement les jeux des sons et des images avec les lettres de l’alphabet latin. La physique américaine cherche dans la sonification un moyen de s’émanciper des graphes cartésiens. Les budgets des arts créatifs ne comptent pas face à celui des armées destructives. Ce qui opposait l’ingénieur Tesla au banquier Morgan est la ligne de partage entre arts de libération personnelle et science mobilisée pour l’industrie.
Tesla face à Morgan, l’ingénieur et le banquier
La confrontation entre Nikola Tesla (le Héros) et son banquier, John Pierpont Morgan (le Mauvais Génie) illustre une fois de plus l’aspect faustien de l’humanité. Tesla n’a pas qu’été le principal concepteur du moteur électrique à champs tournants. D’autres ingénieurs ont été impliqués dans cette réalisation comme Steinmetz et Gaulard. Tesla s’est distingué comme visionnaire se faisant l’avocat d’un monde unifié par l’électromagnétisme. Ses brevets couvrent tous les domaines de l’activité humaine. En 1882, dans ses mémoires, Tesla explique avoir la vision de sa future invention, un moteur à induction ressemblant à une roue invisible, en contemplant un coucher du soleil. Tesla invoque des vers du Faust de Goethe et présente le champ magnétique rotatif comme une image ptoléméenne du Soleil. La Terre est le moteur inductif et le Soleil le champ tournant qu’il s’agit de poursuivre dans une quête prométhéenne : « Regarde comme les toits entourés de verdure étincellent aux rayons du soleil couchant. Il se penche et s’éteint, le jour expire, mais il va porter autre part une nouvelle vie. Oh ! que n’ai-je des ailes pour m’élever de la terre, et m’élancer après lui, dans une clarté éternelle ! »
Tesla opère par visions schématisées en dessins industriels de brevets en laissant à d’autres le soin de les perfectionner. Il n’est ni artiste ni philosophe. Tesla a été un inventeur prolifique. Edison et Marconi sont surtout des hommes d’affaires intransigeants qui utilisent les technologies électromagnétiques pour faire fortune et acquérir du pouvoir. Ils sortent gagnants du rêve américain. Tesla n’a pas réussi à s’imposer dans cette bataille. Sa mémoire est vivante dans les milieux artistiques contemporains. L’échec financier de Tesla est aussi celui des artistes qui négligent le contexte politique. L’électromagnétisme n’est plus la production d’un romantisme libérateur mais un moyen de contrôle pour les maîtres des réseaux financiers de puissance et de transmission d’information.
Physiciens et artistes : une « electromagnetic connection »
Comme les physiciens du projet Manhattan et leurs adversaires soviétiques persuadés de la nécessité de combattre, qui le totalitarisme, qui le capitalisme, certains artistes ne voient pas notre espèce menacée d’extinction. Les physiciens contemporains sont terrifiés par leurs produits techniques. Au même moment, la technologie électronique passionne le monde de l’art. Physiciens et artistes se mesurent séparément au monde de la finance. L’image de Tesla est restée vive dans les mémoires pour annoncer leur confluence. La confrontation entre Tesla et Morgan a fait surgir l’essence du dilemme de la vie urbaine moderne : l’électricité gratuite face à un pétrole monnayable. L’énergie libre est une évidente nécessité sociale pour Tesla. Mais les dures réalités de l’économie de guerre ne lui ont pas permis d’explorer cette voie. Tesla n’est pas allé en guerre contre Morgan car il est persuadé que les États-Unis peuvent sauver le monde en le dirigeant. Ce drame est porté au cinéma en 1979 dans un film remarquable de Krsto Papic, La Vie secrète de Nikolas Tesla, avec nul autre qu’Orson Welles, alors malade et handicapé, dans le rôle de Morgan, le banquier sans autre choix que celui de dire « non » à l’énergie gratuite de Tesla.
La réalité mondiale actuelle fondée sur le contrôle du pétrole et du nucléaire montre que la situation n’a guère changé sur ce plan. Le débat s’est déplacé dans un domaine où Tesla ne l’aurait guère attendu : le contrôle des individus par les réseaux d’information. Plus importante encore que l’énergie libre est la revendication d’informations et de logiciels libres. En plaçant ses personnages dans ce nouveau monde de l’information, le romancier Neil Stephenson, avec Snow Crash, Diamond Age et Cryptonomicon, illustre l’identification entre les flux électromagnétiques et la vie sociale, en particulier dans la circulation monétaire. Dans son metaverse, les vieux complots prennent une nouvelle forme. Les ordinateurs quantiques utilisant des photons intriqués font se détacher la monnaie non seulement du papier et de l’or, mais aussi du calcul des économistes. Des oeuvres de Takis à l’installation de sculptures magnétiques en lévitation à l’entrée d’un centre de recherche de Grenoble, on voit que l’art électromagnétique a plus de passé mythique que d’avenir tracé. Le projet Corps électromagnétiques, imaginé à Montréal, espère ouvrir plus largement ce secteur aux collaborations artistiques internationales et contribuer à établir une electromagnetic connection avec le monde enchanté de la physique contemporaine.
Mémoires pour le lendemain
La nécessaire liberté de l’art ne peut être importée en science sous peine de voir un Dr Folamour décider de prendre le monde comme matière première de ses délires sans lendemain. Comme trace humaine, l’art perdure dans un cycle électromagnétique stable qui entre en résonance avec un soliton. C’est la mémoire vivante qui enchante. Un voyage à Delphes pouvait aider à faire agir cette puissance mnémonique. La pythie au langage sibyllin est déjà une prémonition de l’intrication des messages de la physique. Cette révolution de la pensée consiste à rejoindre le futur à travers un passé mythique. Le lendemain est une révolution de la Terre sur elle-même. Corps électromagnétiques, une possible mémoire corporelle du lendemain.
Les diamants et les aimants étaient une catégorie de rares objets impossibles à transformer: les adamantins. Les diamants sont issus des cheminées volcaniques, les kimberlites, venant du magma profond. Les aimants viennent des météorites ferriques. Leur union parfaite était le but des orfèvres médiévaux pour décorer des armes chevaleresques. Plus personne ne songe à donner un sens aux armes actuelles de destruction massive. Elles glacent le sang et inhibent la mémoire. Alors qu’il serait salutaire de les éliminer, on en invente toujours de nouvelles avec l’électromagnétisme de puissance.
Marcel Duchamp a eu la vision de sa fontaine en lisant cette fable de Jean de La Fontaine : Le sculpteur et la statue de Jupiter, subtile moquerie de l’éducation bigote. « Chacun tourne en réalités, Autant qu’il peut, ses propres songes: L’homme est de glace aux vérités ; Il est de feu pour les mensonges. »
Ces vérités glaçantes sont ignorées. L’artiste qui détient sa propre vérité peut aller au-delà du mensonge et se définir toujours différent, chemin faisant. De Budapest à Paris, l’exposition Corps électromagnétiques a repris le chemin que Tesla accomplissait en 1882-1883. Parti de la capitale hongroise, lieu du premier métro électrique, Tesla veut ajouter un message culturel et social à ses travaux d’inventeur. Incompris, il décide, à regret, de franchir l’Océan et de s’expatrier dans un Nouveau Monde mythique qui le calme des affres suicidaires émergeant dans l’Ancien Monde. Paris aurait pu capter l’énergie créative de Tesla car elle était le prototype de la Ville Lumière. L’histoire en a décidé autrement. Expatrié, Tesla a rendu possible le premier grand barrage hydroélectrique près des Chutes du Niagara sur la frontière canado-américaine. Cette hydroélectricité est ensuite devenue la source énergétique du Québec. Imaginé à Montréal et après être passé par Karlsruhe, Madrid, Rotterdam et Budapest, le projet Corps électromagnétiques est venu à Paris pour illustrer la convergence moderne des deux grandes métropoles francophones de la planète. Corps électromagnétiques est l’une des plus importantes expositions artistiques itinérantes issue du Canada. Réunis à Paris, des artistes du Québec, du Canada et de France, nous y font l’honneur de leurs meilleures oeuvres. Louise Provencher et Nina Czegledy ont eu cette superbe initiative. Jean-Luc Soret est allé à leur rencontre pour réaliser cet événement. C’est leur oeuvre parisienne commune. Le trajet de Nikola Tesla de Budapest à Paris a tracé le parcours final de Corps électromagnétiques des berges du Danube aux alentours de la Seine. Il marque aussi le cent cinquantième anniversaire de sa naissance que nous célébrons cet été 2006. Tesla était venu à Paris avec l’espoir d’y rester. Ensuite, il s’est exilé à New York pour y maintenir la flamme de la liberté de création. Bartholdi baignait dans la même ambiance en préparant la célèbre Statue de la Liberté du port de New York de 1880 à 1886. Les idées libérales du Nouveau Monde ont permis à l’Ancien Monde de se maintenir ensuite à flot. La Fée Électricité de Dufy a de nouveau célébré en 1937 ces Lumières libératrices. Juste avant la deuxième catastrophe qui a cassé l’Europe en deux. Tesla est mort au milieu de la dernière guerre en 1943. Son univers familial originel a été la dernière victime européenne d’un siècle de conflits pressentis. Le musée Tesla aurait même pu disparaître sous les bombardements américains de Belgrade en 1999.
Paris a changé, l’Europe aussi. Mais la guerre est aux portes qui n’ont rien de sublimes. Foyer des arts, Paris, Ville Lumière, a repris les atouts nécessaires pour étendre le champ de ses ambitions et devenir la Ville Électromagnétique des arts et des sciences. Paris y retrouvera les siens sur la toile enchantée de Dufy et, parmi eux, Édouard Branly. Le nom prestigieux d’Édouard Branly (1844-1940), médecin revenu en physique, est maintenant associé au nouveau Musée des Arts Premiers. En France, Branly a été l’inventeur le plus proche de Tesla et de Fessenden (5). Il est connu pour avoir construit un radioconducteur (cohéreur) qui détecte de très faibles ondes électromagnétiques dans un tube de verre contenant des limailles métalliques. Il a rendu ainsi possible la captation modulée des ondes hertziennes avec le poste de TSF, l’ancêtre de notre actuel Nuage Urbain Électromagnétique (NUÉ). Son ingénieux dispositif permet à des ondes hertziennes émises dans les airs de donner une cohérence temporaire par radioconduction à une matière en poudre. N’est-ce pas la première forme possible d’un soliton humain en attente d’un éclair pour se donner conscience de lui-même ?